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Du côté de mes Musiques Buissonnières, j'évoque une double publication par l'Orchestre National de Jazz, sous la direction artistique de Frédéric Maurin. Deux disques aux couleurs radicalement différentes : Dancing In Your Head(s) et Rituels.
Le 21 octobre 1960, John Coltrane (saxophone), McCoy Tyner (piano), Steve Davis (contrebasse) et Elvin Jones (batterie) investissaient les studios Atlantic de New York pour une séance d'enregistrement que l’histoire du jazz retiendra comme l’une de ses grandes pages.
Ce jour-là en effet, les quatre musiciens – qui ne constituaient pas encore le « quartet classique » du saxophoniste puisque le contrebassiste Jimmy Garrison ne l’intégrera qu’en novembre 1961 – mirent en boîte deux versions de « Village Blues », dont l'une a été publiée sur Coltrane Jazz en 1961 ; une de « Equinox » et de « The Night Has A Thousand Eyes », ces deux dernières n'étant finalement pas conservées. Mais surtout, c'est au cours de cette session que fut gravée une reprise enchantée de « My Favorite Things », qui verra le jour l'année suivante sur l'album homonyme.
Jusqu’à sa mort en juillet 1967, John Coltrane ne cessera de modeler et remodeler, au fil des concerts, son interprétation d’une composition que beaucoup ont pu croire sienne tant il se l’était appropriée, au point parfois d’en donner des versions de près d’une heure (ainsi au Japon en juillet 1966). Cette longue reprise initiale (13'43") d'une chanson tirée de la comédie musicale The Sound of Music s’avérera ma vraie grande porte d'entrée dans l'univers du jazz. Je me souviens encore de cette fin d'après-midi du lundi 9 septembre 1985 – jour anniversaire de mon frère aîné qui m’a tant appris en musique, il ne saurait y avoir de hasard – lorsque je m'étais finalement décidé à acheter ce 33 tours qui allait tout changer. Ce disque, on peut dire que je lui avais tourné autour pendant de très longs mois, voire des années. Il aura fallu l’indigence musicale des années 80 et l’ennui profond qui en découlait pour que je me décide enfin à « écouter en arrière » et me lancer dans la grande aventure Coltrane, ce musicien étrange dont Christian Vander parlait sans cesse avec amour et passion et dont je lisais les interviews depuis plus de 10 ans. À cette époque, Magma était en sommeil et j’entendais parler d’une nouvelle formation dont je comprendrais plus tard la signification du nom, Offering.
John Coltrane. Mais qui donc était-il, ce magicien ? Le saurai-je un jour ?
Le saxophoniste, je dois bien le dire, a complètement bouleversé ma perception de l’écoute, rien n'a plus été pareil dès lors que sa musique est entrée dans ma tête. Elle ne m’a plus jamais quitté, surgissant par vagues à intervalles réguliers. Coltrane a fonctionné comme une formidable machine à faire le tri entre l’essentiel et le reste ! À partir de ce jour du premier disque, j'ai dépensé sans compter (enfin, si, quand même un peu…) pour me procurer tous ses albums ou presque. Aujourd’hui encore, j’ajoute des pièces à ma collection, tel cet enregistrement du concert à l’Olympia le 17 novembre 1962 qui vient de paraître chez Frémeaux & Associés. Jour après jour, il m’a fallu comprendre la chronologie de sa discographie (je ne remercierai jamais assez François-René Simon de Jazz Magazine qui m’avait envoyé une longue lettre manuscrite après que j’avais écrit à la rédaction du journal pour tenter de défricher ce mystérieux univers, et qui fut en quelque sorte mon sésame) que je me suis efforcé de respecter au mieux afin de percevoir comme « en direct » l’évolution artistique et surtout humaine de John Coltrane. En passant par ses collaborations multiples dont celles, majeures, avec Miles Davis et Thelonious Monk dans les années 50. Jusqu’au cri final, jusqu’au mysticisme et à la démesure d’une quête par laquelle le saxophoniste voulait parler à tous les humains et leur faire ce qu’on peut considérer comme une offrande. Certains ont parlé de free jazz pour qualifier son travail des années 65 à 67, je n’ai rien entendu de tel en ce qui me concerne. Mais ceci est une autre histoire dont je laisse aux exégètes le soin de procéder au décryptage.
Nous sommes le 21 octobre 2020, soit 60 ans, jour pour jour, après cette fabuleuse session d’enregistrement. C’est donc le moment idéal pour plonger une fois encore dans la version hypnotique de « My Favorite Things » que nous offre John Coltrane. Laissez-vous emporter dans sa valse entêtante illuminée par le saxophone soprano et le piano qui chante à la façon d’un carillon. On peut y revenir, encore et encore, la magie opère à chaque fois.
Et voilà, c'est le clap de fin pour NJP 2020. Retrouvez ici mes « Échos masqués », ces huit chroniques écrites pour le magazine Citizen Jazz tout au long de l'édition dite « Collector » du festival Nancy Jazz Pulsations. Une année 2020 décidément particulière dans un contexte sanitaire qui a rendu très compliquée la tâche des organisateurs de cette manifestation emblématique de la vie culturelle en Lorraine. Coup de chapeau donc à Thibaud Rolland et toute son équipe, et bonne lecture !
Et rendez-vous du 2 au 16 octobre 2021 pour la prochaine édition qu'on espère plus apaisée qu'en 2020. Croisons les doigts...
Du côté de mes Musiques Buissonnières, j'évoque le très beau disque d'un quartet qui a pu enregistrer dans le mythique studio Van Gelder à Englewood Cliffs, NJ. Florian Pellissier (piano), Yoann Loustalot (bugle), Théo Girard (contrebasse) et Malick Koly (batterie) pour le meilleur d'un jazz sans âge !
Du côté de chez Citizen Jazz, publication de Joy, le nouveau disque de la saxophoniste Sophie Alour. « Un disque de la plénitude, et sans doute celui d’une forme d’accomplissement pour une musicienne dont on connaissait tout autant la sensibilité que l’énergie ».
Au programme du mois sur Radio Déclic, une émission consacrée à quelques musicien.ne.s à l'affiche de Nancy Jazz Pulsations : Bireli Lagrene & le Multiquarium Big Band : « Introduction / Used To Be A Cha Cha » ; Laurent Coulondre : « Looking Up » ; Sophie Alour : « Joy » ; Sélène Saint-Aimé : « Mare Undarum Part II » ; Laurent Bardainne & Tigre d'Eau Douce : « Apaches » ; Léon Phal Quintet : « Autumn in Ay »; Shootin' Chestnuts : « Joe ».
La vie, la vie, la vie… Il en est fortement question avec ce disque qu’ont fait paraître chez Vibrant les Rouennais de Papanosh associés à « un béarnais cultivateur d’accents, un jongleur des mots, un voc’alchimiste ». J’ai nommé André Minvielle dont on n’oubliera pas la présence au sein de la compagnie Lubat, ce dernier ayant été en son temps le batteur de… Claude Nougaro. Ce même Nougaro auquel Minvielle a rendu hommage à la fin de l’année dernière au sein d’un trio très attachant formé avec Babx et Thomas de Pourquery. Et je rappelle aussi qu’André Minvielle a publié en 2016 un disque rare dont le titre peut se prononcer indifféremment « intime » ou « 1 Time ».
Et voici venu le temps d’une association Papanosh / André Minvielle et d’une rencontre qui s’est faite lors d’une des Hestejadas – un festival – de la Compagnie Lubat de Jazzcogne à Uzeste. Quant à l’idée d’un hommage à Prévert, André Minvielle explique que tout est parti du poème « Étranges étrangers » enregistré sur 1 Time et d’une proposition faite par Eugénie, la petite-fille du poète, de poursuivre ce travail de relecture. C’était là une belle occasion de faire revivre la poésie tendre, lucide et malicieuse de Jacques Prévert.
Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous le texte de présentation de Prévert Parade – c’est le nom de l’album – qui cite tous les poèmes qu’on peut y entendre. À vous de les retrouver :
« On y met Les petits plats dans les grands Pour un Cortège de poèmes de Jacques Prévert. Chacun amène sa pierre à l’édifice pour la paix, pas La Guerre… Pendant ce temps, Les belles familles invitent L’Amiral. C’est Quartier libre à Alicante ! La brouette ou les grandes inventions, tout y passe… mais… Un matin Rue de la Colombe D’Étranges étrangers entrent dans la danse : C’est Le Combat avec l’ange… Un chant lui est Destiné, Entre Chant Song et Séganagramme. »
Cette Prévert Parade est réjouissante, c’est une association pleine de tendresse fougueuse, un grand jeu sur la musique et les mots. Papanosh et André Minvielle se sont trouvés. Par moments, on a même l’impression qu’ils se connaissaient de longue date et que leur disque signe des retrouvailles. La jubilation est au programme, qu’on se le dise !
[Album présenté dans L’Heure du Jazz n° 2 du 7 février 2020]