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Richard & Duncan Pinhas : « Sources »

richard pinhas« A Piece For Duncan » est une composition que Richard Pinhas avait dédiée à son fils sur l’album Rhizosphère, son premier album solo en 1977. Quarante-quatre ans plus tard, voici Sources, un album signé cette fois Richard & Duncan Pinhas qui aurait tout aussi bien pu s’intituler Six pieces with Duncan. Il s’en est passé des choses entre temps : le groupe Heldon a fini d’écrire son histoire, tutoyant les sommets avec Interface (1978) puis Stand By (1979), reprenant même vie il y a peu dans une formule éphémère en trio avec Arthur Narcy et Florian Tatard. Tous deux sont d’ailleurs impliqués dans ce nouveau disque enregistré par le père et le fils : le premier à la batterie sur deux titres, le second au mixage.

Après une pause assez longue à compter du milieu des années 80, le guitariste historien sociologue philosophe, disciple d’un Gilles Deleuze dont il avait fait le récitant du « Voyageur » avec le groupe Schizo (et qu’on retrouvait sur le premier album de Heldon en 1974), a continué sa route, celle d’une Dévolution, sans la moindre concession. Amoureux du blues électrique (Cream, Clapton, Hendrix…) tout autant que des fièvres crimsoniennes de Robert Fripp (avec ou sans Brian Eno) ou des beats électroniques d’un Kraftwerk, Richard Pinhas n’est pas de ceux qui vous flattent l’oreille en vous caressant tendrement le conduit auditif. Sa musique est celle d’un monde inquiétant, violent et tourmenté. Elle vous plonge dans un après, celui d’un système qui aurait volé en éclats et ne vous laisserait qu’une seule possibilité : tenter de survivre. Ce sont du moins les images qu’elle projette en moi… La guitare est stridente, hantée par des sonorités héritières des frippertronics, les synthétiseurs scandent, leur pouls est convulsif. Bref, les paysages semblent dévastés mais… quelle intensité, quelle puissance d’évocation !

Dans la période récente, Richard Pinhas, loin d’être inactif alors qu’il fête cette année ses 70 ans, a enregistré et publié bon nombre de disques. On citera en particulier les réussites que sont Reverse (2017) et Quentin Compson (2020). Il faut souligner ce phénomène étrange à chaque fois que la musique de Pinhas se joue (de nous) : on a beau savoir plus ou moins de quoi il va retourner (car les ingrédients, forgés à partir d’une matière en fusion, toute en électricité et électronique, sont finalement assez invariants depuis des décennies), on est happé, fasciné par la tension qui monte inexorablement de minute en minute et ne se relâche qu’in extremis. À la fin, parvenu à ce qu’on croit être le bout du chemin et qui, en réalité, n’est qu’une pause pour reprendre quelques forces.

Sources n’échappe pas à ce phénomène d'ensorcèlement. Parfaite synthèse de toutes les expériences passées, cette union familiale où se fondent guitare et synthétiseurs en une masse sonore mouvante – parfois liquide (« Onde aux rivages trop méconnus »), parfois spatiale et planante (« Aiguille Rouge », « De sources et de ravins »), parfois solaire (« Échappées belles »), parfois heurtée par le déferlement de la batterie (« Le Gritche ») – est assurément un temps fort de la discographie pinhassienne (j’espère que ce néologisme, s’il en est vraiment un, me sera pardonné). Le duo a fait le choix de ramasser les six compositions en des temps assez courts (entre six et huit minutes) au regard de l’échelle de RP (qui est à la musique ce que l’échelle de Richter est aux séismes), aboutissant de fait à un effet de concentré qui en démultiplie la force. Et puis, comment dire ? Parvenu au bout de ces quelque 37 minutes hantées, on est tenté de se dire : Heldon is back. Avant de se rendre compte que c’est là pure idiotie, car Heldon n’est jamais réellement parti.

Richard Pinhas / Heldon, même combat, même langage, depuis le début. Je dois bien l’avouer, le monsieur fait partie de cette caste singulière que je nomme « mes compagnons de vie ». Dès lors que sa musique a franchi ma porte, c’était en septembre 1974, elle est toujours restée là, plus ou moins proche, mais présente, terriblement présente. Sources en est une nouvelle démonstration. Éclatante au demeurant !

Musiciens : Richard Pinhas : guitare ; Duncan Pinhas : synthétiseurs analogiques, guitare ; Arthur Narcy : batterie.

Titres : Puissances infectées | Échappées belles | Aiguille Rouge | Onde aux rivages trop méconnus | Le Gritche | De sources et de ravins.

Label : Bam Balam Records

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