Richard Gilly : Mémoire vive
On ne peut pas dire que Richard Gilly aura saturé notre environnement musical en un demi-siècle. Ce longiligne jeune septuagénaire, homme sensible et musicien discret, nous livre en 2022 un huitième album, Mémoire vive. Celui qui, à l’aube des années 70, reconnaissait ne pas être un grand fermier n’en était pas moins un arboriste méticuleux de l’amour et des confidences faites au creux de l’oreille, dans la découverte du corps de l’être aimé. Cet homme-là est assurément toujours présent, préservé des vulgarités de l’existence et aimant comme au premier jour. Mais cinquante ans plus tard, le monde a continué de tourner, pris dans le tourbillon implacable de ses folies planétaires et de la cruauté insatiable des hommes. Oui, le monde a tourné, et bien mal. Restent néanmoins comme ultime bouclier les sentiments qu’on éprouve et offre à l’autre pour les déposer avec toute la délicatesse qu’impose une vie digne de ce nom. On pourrait trouver tout cela naïf, alors qu'il s'agit simplement de se présenter en être humain.
En douze chansons courtes, Richard Gilly écrit un manifeste pour la Vie, sans élever la voix, avec ce minimalisme qui le caractérise depuis toujours. Chaque note compte, chaque parole est habitée. Sa « Mémoire vive » saigne des violences imposées par le terrorisme et les dictatures, ses « Bleus » ne sont pas des mots – même si un clin d’œil en forme de paradis perdus évoque ceux d’une autre chanson – mais sont imprimés sur les visages des femmes battues. Le temps qui passe, la mort qui vient (« Au large de Véga »), les injustices de la naissance (« Par la main que tu tends »), les innocents assassinés en masse (« Sans un cri »), l’exil des « Migrants » sont autant d’invocations qui nourrissent la poignante prière d’un homme pourtant non croyant (« Si t’es là-haut »).
Comme à chaque rendez-vous avec ce chanteur bien trop rare, on entre à pas feutrés dans un clair-obscur existentiel. Parce que si les ténèbres contemporaines ont beau être chez lui la source d’un cri douloureux impossible à contenir, l’amour reste le trésor fragile qu’il faut préserver coûte que coûte, même sous le froid d’une pluie de « Septembre ». On en découvre le frémissement dans la lumière d’un matin pâle (« Les yeux ouverts ») et l’ivresse de l’oubli (« Je veux me perdre »), pour toujours (« Ad Vitam Aeternam »).
Parfois, les mots s’effacent et vient un « Piano de mars », courte parenthèse instrumentale aux intonations « ambient » que ne renierait pas un Brian Eno.
Une guitare, un clavier, un frisson de cordes ou quelques percussions de velours. Une voix qui chante et parle tout autant, retenue par ce qu’on devine être la pudeur d’un homme conscient. Mémoire vive, arrangé et réalisé par Hervé Le Duc, est un disque qui va à l’essentiel, sans artifice mais avec beaucoup de justesse. Ainsi est Richard Gilly, témoin de nos tourments, artiste différent. De ceux dont on se dit, aussi, qu’ils sont des compagnons de vie.
Musiciens : Richard Gilly (chant, guitare) ; Hervé Le Duc (claviers, programmation, arrangements et réalisation).
Titres : Septembre (3:00) | Mémoire vive (3:17) | Bleus (2:01) | Au large de Véga (3:21) |Si t’es là-haut (2:55) | Par la main que tu tends (3:17) | Ad Vitam Aeternam (4:22) | Piano de mars (3:10) | Les yeux ouverts (3:05) | Sans un cri (2:12) | Migrants (2:34) | Je veux me perdre (1:58).
Label : Autoproduction (1er avril 2022)
Rappel : la discographie de Richard Gilly
Je ne suis pas un grand fermier (1971), Les froides saisons (1975), Portrait de famille (1977), Râleur (1984), Rêves d'éléphant (1993), Des années d'ordinaire (2002), Les contes de la piscine après la pluie (2015), Mémoire vive (2022).
Commentaires
Très belle description
de Richard...
Il me paraît avoir une grande sensibilité.
Tout est douceur et nostalgie
a l écoute mais combien les mots sont justes
Sa compagne sait parfaitement le mettre en valeur