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  • Magma : « Kãrtëhl »

    magma, kartehl, christian vander, zeuhlLoin du crépusculaire Zëss, dernier album studio de Magma en 2019, celui-ci devant marquer une sorte de point final avant un « chaos des apocalypses » (sic) porté par les couleurs de l’Orchestre Philharmonique de Prague, voici donc Kãrtëhl sur le point de paraître chez Seventh Records et dont on expliquera le titre par la présence de plusieurs compositions signées de la main de membres du groupe autres que Christian Vander lui-même (en l’occurrence Thierry Eliez, Hervé Aknin et Simon Goubert). On mettra de côté la référence à certains cartels pas vraiment recommandables, car cette association musicale serait plutôt le fait de bienfaiteurs. Mine de rien, le groupe n’avait jamais connu une démarche à ce point participative depuis la première période (1970-1972), au temps où Laurent Thibault, Claude Engel, Teddy Lasry et François Cahen y allaient de leur contribution au répertoire. On se souviendra aussi de l’époque du disque Üdü Wüdü, quand Jannick Top avait fourni « Ork Alarm », « Soleil d’Ork » et « De Futura » et Bernard Paganotti le titre « Weidorje ».

    C’est bien le Magma d’aujourd’hui (et des années 70, on le comprend très vite) qui est en action, celui qu’on avait pu découvrir sur scène dès le début de l’année 2020 et qui avait publié un live roboratif, Eskähl 2020, enregistré quelques jours avant le premier confinement. Une formation élargie, avec sa garde toujours très rock (la guitare de Rudy Blas qui s’associe souvent aux voix, la basse de Jimmy Top, fils de l’historique Jannick, qui semble avoir parfaitement trouvé sa place et s'inscrit tout autant dans le sillage de son géniteur que dans celui de Bernard Paganotti), ses deux claviers (le nouveau venu et très aguerri Thierry Eliez associé à Simon Goubert, compagnon de route de Magma et d’Offering depuis les années 80). Et puis ce Magma-là, ce sont des voix comme s’il en pleuvait, plus que jamais dominantes et aériennes, celles de ses six chanteurs et chanteuses : Stella Vander, Hervé Aknin, Laura Guaratto, Caroline Indjein, Sylvie Fisichella et Isabelle Feuillebois, un ensemble vocal dans lequel on inclura évidemment Christian Vander mais aussi Thierry Eliez. Une véritable force de frappe tout autant héritière des Inner Voices de McCoy Tyner que des chœurs à l’œuvre chez Stevie Wonder, au temps de Innervisions ou Songs In The Key Of Life.

    Assez étonnamment, les compositions de Christian Vander, toutes trois issues des années 70 (notons que deux sont présentées en double exemplaire, chacune avec une maquette brute de 1978 et la présence du regretté René Garber, fidèle compagnon de route et ami disparu en 2015 à qui un hommage vibrant est ici rendu) sont les plus détendues, on irait même jusqu’à les qualifier de souriantes. On connaissait par les récents concerts « Hakëhn Deïs » (dont le nom de code évocateur était « Stevie Vander » il y a quelque temps encore) et « Irena Balladina » (dédiée à sa mère, c’est une chanson douce venue des premiers temps, ses accords de guitare initiaux résonnant d’échos lointains de « Kobaïa » avant que le chœur ne s’envole vers ces « Inner Voices » évoquées un peu plus haut), on découvre en conclusion de l’album un « Dëhndë » aux couleurs Tamla Zeuhl presque tendres, sous la forme d’une chanson addictive qu’on se prend très vite à fredonner, comme un hit potentiel et dont les paroles en kobaïen sonnent parfois comme de l’anglais. « Hakëhn Deïs » et « Dëhndë » donnent l’occasion au batteur – dont le resserrement du jeu lui confère une force et une précision toujours aussi impressionnantes – de se présenter aussi en chanteur, un rôle qu’il endosse avec l’intensité qu’on lui connaît depuis longtemps. De leur côté, « Walömëhndem Warreï » (signé Thierry Eliez, ce titre ouvre depuis quelque temps les concerts de Magma), « Do Rïn Ïli Üss » (Hervé Aknin) et « Wiï Mëlëhn Tü » (Simon Goubert), trois compositions très habitées par l’idiome magmaïen, au point qu’on pourrait penser par instants que Vander est leur compositeur, sont porteuses d’une énergie profonde. Ce sont trois moments où la puissance du groupe trouve l’occasion de s’exprimer pleinement, noirceur comprise au besoin. Les « contributeurs » se sont fondus naturellement dans l’esthétique Magma, jusqu’à y inclure des paroles en kobaïen, tout en conservant leur identité artistique : Thierry Eliez a des élans symphoniques et célestes ; Hervé Aknin se souvient à la fois de son travail avec Ellul Noomi et de l’album Üdü Wüdü ; quant à Simon Goubert, il cultive un mystère en clair-obscur niché quelque part entre Offering et la trilogie Köhntarkösz. Une fois encore, on soulignera la richesse du travail vocal et l’euphorie qui caractérisent cet album singulier et plus accessible que ses prédécesseurs, une allégresse qui enlumine la musique du début à la fin. Magma chante et enchante.

    Pour finir, formulons l’hypothèse que Kãrtëhl est un album qui doit sans doute beaucoup à celle qui n’a pas composé, mais plutôt imposé tranquillement la lumière d’un Magma plus solaire, Stella Vander. C’est un peu comme si, au bout du compte, Christian Vander, renonçant pour un temps à ses imprécations – « Terrien, si je t’ai convoqué ! » – avait accepté de laisser apparaître un aspect plus lumineux de Kobaïa (une planète qui semble d’autant plus éclatante que la vie sur Terre n’a jamais été aussi sombre). À l’écoute des six compositions denses (leur format est relativement court, entre 5 et 9 minutes, bien loin des grandes œuvres composées dans les années 70) qui forment Kãrtëhl, on se dit que ce nouveau disque, en offrant une musique en apparence apaisée, d’une plus grande proximité avec chacun d’entre nous que par le passé, possède bien des atouts pour rassembler un public multigénérationnel plus large que ses prédécesseurs. L’histoire de Kobaïa continue, et bien malin qui saura en dessiner les prochains contours. Kãrtëhl en constitue sans doute une bonne porte d’entrée, à défaut d’être représentatif de la démesure passée de Magma…