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  • Switch Trio : In Town

    switch trio,fred nardinPar un phénomène plutôt sibyllin, le Switch Trio semble vouloir inverser le cours des événements. En 2012, alors que l’idée d’un confinement généralisé ne hantait aucun esprit doté de toutes ses facultés, il publiait At Home dont la pochette offrait une « vue sur canapé », comme par anticipation des jours de pandémie à venir. Et voilà qu’au moment où les murs de nos habitations sont devenus nos horizons indépassables (ou presque), c’est la parution de In Town. Une ville qui s’offre aux regards dans un rayon bien supérieur à un kilomètre, aperçue toutefois depuis une baie vitrée, il faut le souligner. Au-delà de cette entrée en matière taquine, avouons que ce disque est avant tout synonyme du plaisir de retrouver trois musiciens décidés à poursuivre leur travail de célébration d’un jazz du swing, porteur de son histoire, et poussés dans un élan commun par la joie d’être vivants dans la musique de l’instant. C’est là un atout fort appréciable en ces temps où la musique live est condamnée à la réclusion sanitaire.

    Pas besoin de présenter le pianiste Fred Nardin, connu outre ses multiples incursions dans les clubs parisiens et sa fréquentation d’une belle galerie de pointures (Leon Parker, Stefano Di Battista, Hugo Lippi, Sophie Alour ou Gaël Horellou pour n’en citer que quelques-unes) pour être le co-directeur artistique de ce grand ensemble pédagogico-jazzistique qu’est The Amazing Keystone Big Band. Voilà un (toujours) jeune musicien chez qui le groove circule au même rythme que le sang dans les veines. C’est tout logiquement qu’on retrouve au programme de son deuxième rendez-vous, avec ses complices Maxime Fougères (guitare) et Samuel Hubert (contrebasse), une poignée de compositeurs fétiches : Billy Strayhorn (« Take The A Train »), Mulgrew Miller (« Second Thought »), René Thomas (« Blue Tempo », sans doute l’un des plus beaux moments du disque) ou encore Benny Golson (« Out Of The Past ») ; sans oublier celui qui ne nous avait pas encore quittés au moment de l’enregistrement du disque en 2017, l’immense Steve Grossman (« Song For My Mother »). Nardin quant à lui dédie une de ses deux compositions originales à un certain « Mister K.B. » derrière lequel se cache sans nul doute l’un de ses maîtres en piano, Kenny Barron.

    Cette musique coule, tranquille et sûre d’elle-même à la fois, ne perdant jamais de vue l’idée d’un swing (j’insiste sur ce mot) sous-jacent, quel que soit le tempo adopté. In Town est un refuge mélodique dans lequel il fait bon vivre. Ici, la virtuosité ne prend jamais le pas sur la sensibilité, le sourire est de mise. Tout ceci me rappelle ce que j’avais écrit dans le magazine Citizen Jazz au sujet de Opening, le disque du trio de Fred Nardin. J’évoquais en effet : « le sentiment de plénitude qui vous gagne à l’écoute d’une musique combinant le désir de porter en elle l’histoire du jazz et de raconter le monde d’aujourd’hui ». Je soulignais aussi la faculté de composer des mélodies qui seraient de « possibles standards ». Tout cela est plus vrai que jamais : les trois thèmes écrits par les membres du trio viennent se glisser au milieu des reprises avec le plus grand naturel. Leur cohabitation avec ces témoignages des grandes heures du jazz est comme une évidence. À défaut de ressentir au plus près cette musique dans la chaleur d’un club ou d’une salle de concert, on pourra en attendant le retour à une vie normale mettre à profit nos heures confinées grâce à cette séduisante balade « en ville ».

    Les musiciens : Maxime Fougères (guitare) ; Fred Nardin (piano) ; Samuel Hubert (contrebasse).

    Les titres : Blue Tempo | Out Of The Past | Don’t Forget The Blues | Mister K.B. | Song For My Mother | Ding | Moore’s Alphabet | Second Thought | Take The A Train.

    Label : Jazz Family